Société

38’368’873 lamentations plus tard, les journalistes toujours incapables d’interroger le rôle de la propriété des moyens de production de l’information dans la suppression de près de 300 postes au sein de Tamedia

Selon toute vraisemblance, ces derniers devraient donc continuer à se plaindre sans que cela n’ait aucun effet.

Tous sont unanimes et l’ont d’ores et déjà rabâché des millions de fois sur toutes les plateformes disponibles : la disparition programmée de La Tribune de Genève est une mauvaise chose pour la pluralité de l’information, la démocratie, la liberté d’expression, la diversité d’opinions, etc., etc. Pourtant aucun journaliste n’a encore été capable de pointer la cause fondamentale de la suppression à venir de près de 300 postes au sein du groupe Tamedia, à savoir la propriété privée de ce moyen de production de l’information à laquelle ne feront rien toutes les complaintes formulées sur les réseaux sociaux et encore moins les convocations d’un Conseil d’État impuissant du fait de ses prérogatives réduites progressivement au néant sous les coups de boutoir de la Nouvelle Gestion Publique (NGP).

Ce n’était pourtant pas si dur de voir venir les vagues de licenciement. Economy 101 – comme disent les anglo-saxons qui ont par ailleurs inventé le système éponyme dans lequel évolue, à l’instar de tous les autres groupes de presse, Tamedia – : le seul et unique objectif poursuivi par les organisations privées est le profit. Corollaire : croître chaque année afin de témoigner d’une bonne santé économique et de verser des dividendes aux actionnaires, à savoir – secret de polichinelle – la famille Coninx, détentrice de 73.7% des actions TXGN en 2020.

Alors pourquoi se plaindre des effets d’un système qui ne se cache pas sans jamais en déplorer les causes ? La peur d’accélérer la perte de son emploi, d’abord. Car si tout un chacun chez Tamedia est sur un siège éjectable, personne ne sait quand la direction actionnera la manivelle qui le fera sauter. Mieux vaut, cela étant, la fermer et favoriser ses chances d’être le dernier, ce d’autant que le chômage ne verse que 70% du dernier salaire – NDLR : merci la NGP, là aussi. La bêtise, ensuite. Centre de formation aux journalismes et aux médias (CFJM) et Master en journalisme et communication sont en effet moins connus pour leurs diplômés aux têtes bien faites que pour lauréats aux têtes bien pleines des meilleures manières de produire de l’information sans aucun appui théorique – « neutre » et « apolitique », comme on dit dans le jargon. Dès lors, cela n’étonnera personne qu’aucun n’ait de notion d’économie hétérodoxe, de pensée critique et qu’il n’en soit pas un qui ait, de près ou de loin, entendu parler de Karl Marx autrement que durant une scorie de Philippe Nantermod sur la nécessité de privatiser sa grand-mère pour en tirer des bénéfices. Là est également le drame de tout une profession obligée de troquer de véritables raisonnements comme pouvaient développer jadis de véritables journalistes – comme Joseph Kessel, Albert Londres, Émile Zola et, plus à droite même, Albert Camus – contre du prêt-à-publier aux relents d’AFP et qui, cela étant, n’est peut-être même plus capable de penser sa propre condition.
La Rédaction.

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