Qui ne dit mot consent à se faire amender.
Tapis dans l’ombre d’une place bleue ou d’un parcmètre, Jean-Michel et Maurice guettent non pas pour crier les heures depuis le beffroi de la cathédrale du village de pêcheurs qu’on appelle Lausanne, mais pour distribuer des amendes d’un nouveau genre. À l’instar des policiers municipaux néo-cyclistes, les deux agents font partie d’une brigade de contrôleurs de stationnement d’un genre nouveau. En effet, ils distribuent depuis le début du mois d’août des « contraventions poétiques » dont le principe est d’accompagner le bulletin de versement d’un petit poème censé redonner un peu de baume au cœur – contre ce dernier, cela va sans dire – de celui ou celle qui devra verser un certain montant à la police municipale.
« Avec tout ce qu’on se fait insulter au quotidien, le métier de contrôleur de stationnement peut susciter autant d’émoi que celui de poète. Alors pourquoi ne pourrions-nous pas, nous aussi, épancher nos songes quelque part ? », déclare Maurice qui tient également à rappeler que, dans son métier, donner le sourire à ses client-e-s est un phénomène exceptionnel étant entendu la relation souvent conflictuelle que lui et ses collègues entretiennent les citoyen-ne-s. D’étayer ses propos : « Voyez l’agressivité dont nous sommes les cibles, l’autre jour, sur la rue de Carouge, au moins cinq personnes m’ont traité de gros sac à m****, deux m’ont enjoint à mettre fin à mes jours, trois m’ont souhaité une maladie longue et sans remède et un autre m’a collé une droite dont vous pouvez encore voir qu’elle n’a pas raté mon œil » (il nous montre son œil au beurre noir) ».
Les petits poèmes distribués en même temps que les amendes ont ainsi pour objectif d’atténuer la haine qui saisit au corps la plupart des automobilistes, sans distinction de genre, de classe sociale, ou d’ethnie lorsqu’ils aperçoivent un agent de police municipale ou un contrôleur du stationnement en train de glisser une contravention sous le balai d’essuie-glace de leur véhicule.
Manque de chance, cependant, pour notre duo Jean-Michel et Maurice qui, dernièrement, ont eu affaire à un marginal. « Le mec était totalement jeté », lance Jean-mi. « Je dirais même plus totalement ch’tarbé », ajoute Momo. Alors qu’ils étaient tranquillement en train de dresser une amende pour dépassement de l’horaire de stationnement, les deux agents ont été les témoins d’une réaction pour le moins étonnante : « Le type est arrivé, il a lu le poème que nous avions disposé sur son pare-brise et pis bah, il s’est passé un truc vraiment étrange ». L’individu, dont on apprendra après coup qu’il est professeur de français, a commencé à les insulter en alexandrin. « J’ai pleuré », n’hésite pas à avouer Maurice. « C’était la première fois que je prenais du plaisir à me faire humilier publiquement. Il faut dire que le mec avait l’air de s’y connaître : il nous a sorti ‘le Cancre’ de Prévert, pour nous expliquer pourquoi nous avions fini contrôleurs de stationnement ; pis il a embrayé sur Baudelaire, Verlaine, Eluard, du Bellay et Apollinaire ». « Je n’ai pas honte de le dire, j’y ai pris du plaisir ! », ajoute Jean-Michel, lequel nous glissera sans gêne que c’est pour ce genre de moments qu’il a choisi cette vocation.
La Rédaction.
Illustration: « Contravention… » by Fanny is licensed under CC BY-NC-SA 2.0
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