Pas de chance pour Didier, commercial dans une entreprise de crédits. Celui-ci a raté la réunion Zoom où il aurait dû apprendre son licenciement en même temps que 150 autres de ses collègues. Ainsi Didier a-t-il bossé plus de 8 mois gratuitement avant de s’en rendre compte.
Didier est spécialiste des ventes pour une entreprise de crédits dans la Loire. D’ordinaire, son travail consiste à démarcher des clients et à les convaincre de contracter des prêts pour acheter des trucs dont ils n’ont pas besoin, comme de nouveaux écrans plats, une voiture neuve, des habits de marque de luxe ou le dernier Iphone. Ses collègues et lui ne se doutent de rien lorsqu’ils sont invités à se connecter à la réunion Zoom organisée par le directeur des ressources humaines de son entreprise Mieux.fr. L’atmosphère est légère. Les employés plaisantent volontiers sur la nouvelle coupe de cheveux de Corinne, la secrétaire, qui rit jaune en priant pour que ce moment s’achève, dût-elle pour cela mourir dans d’atroces souffrances. L’ambiance est au beau fixe. Ne reste plus, pour couronner la fête, que se connecte Patrick (le DRH), duquel ils attendent une bonne nouvelle.
Il faut dire que l’entreprise réalise des résultats records. Dix ans après sa création, elle compte déjà plus de dix mille employés pour la plupart localisés dans des pays en voie de développement où le pouvoir d’achat de la classe moyenne est en pleine expansion. Le patron de la boîte avait vu juste : les gens ont d’autant plus besoin d’argent que le nombre de produits qu’on parvient à leur vendre à coup de campagnes marketing augmente. Or, vu qu’ils n’ont pas d’argent, ils ont besoin de crédits.
Tout le monde s’attend à une annonce générale concernant une redistribution des bénéfices. À juste titre, car les employés sont persuadés que le patron de Mieux.fr reconnaitra leur rôle décisif dans le succès de l’entreprise (comme il a promis que ce serait le cas s’ils voulaient bien enfreindre le code du travail et travailler « sans compter les heures »). D’ailleurs, une augmentation tomberait à pic, car c’est bientôt Noël ! Tous ne tarderont cependant pas à déchanter. Lorsque Patrick se connecte enfin au Zoom après deux heures et demie de retard, il affiche une mine déconfite. Ses mots sont les suivants (Le discours de Patrick n’est disponible que dans la langue de Shakespeare. Eh oui, dans cette jeune entreprise, fût-elle française, employés comme patrons sont invités à s’exprimer en anglais, qui est une langue bien plus « dynamique » et « start-up nation » que le français. Par ailleurs, nous venons tout juste de virer notre dernière stagiaire anglophone. Cet ingrat a refusé de traduire gratuitement le texte) :
« Hi everyone, thank you for joining. I come to you with not great news. The market has changed, as you know, and we have to move with it in order to survive so that hopefully we can continue to thrive and deliver on our mission.
This isn’t news that you’re going to want to hear but ultimately it was my decision and I wanted you to hear it from me. It’s been a really, really challenging decision to make. This is the second time in my career that I’m doing this and I do not want to do this.
The last time I did it I cried. This time I hope to be stronger. But we are laying off about 15% of the company for [a number of] reasons: the market, efficiency and performances and productivity. If you’re on this call you are part of the unlucky group that is being laid off. Your employment here is terminated. Effective immediately. »
Au terme de la réunion, 150 personnes se retrouvaient donc sans emploi… Sauf Didier, qui n’avait pas pu y assister en raison d’un rendez-vous chez le proctologue. Or, comme il n’était pas coutume que Didier échangeât avec ses collègues (le personnage étant très solitaire, toujours focalisé sur sa mission, à savoir parvenir aux meilleurs résultats pour faire prospérer son entreprise) celui-ci ignora durant environ 8 mois qu’il avait été licencié. De déclarer : « C’est vrai qu’au début je me suis inquiété. Surtout quand j’ai vu que je ne touchais plus mon salaire. Mais bon, je ne voulais pas déranger et je pensais que cela était dû à une petite période de récession qui obligeait mon patron à nous payer de manière différée. Vous savez, son niveau de vie exige bien plus de dépenses que le nôtre… Que le mien. Moi, avec un paquet de pâtes et quelques grammes de beurre, je mange durant deux semaines, tandis qu’il ne tient pas plus de deux jours sans son caviar ! Et je ne vous parle pas des crédits qu’il doit rembourser ! »
En prime (et puisqu’il a désormais le temps), Didier nous raconte le moment où il s’est rendu compte qu’il ne travaillait plus pour son entreprise : « Un jour, j’ai décidé de retourner au bureau car j’en avais marre du télétravail. Mon badge ne marchait plus et je ne pouvais pas passer le tourniquet de l’entrée. Alors je me suis adressé à la réceptionniste, laquelle m’a appris que je ne travaillais plus ici ! Vous y auriez cru vous ? J’ai fait un scandale. J’ai crié que je voulais aller travailler et que ces bêtises me faisaient perdre un précieux temps, ainsi que de l’argent à mon patron. C’est au moment où les deux gorilles de la sécurité m’agrippèrent par les épaules, avant de me mettre dehors, que j’ai réalisé concrètement… »
Toujours est-il que Didier ne « regrette » pas ces 8 mois à bosser gratuitement « pour son patron » dont il « comprend » la décision de licencier ses employés les moins bons. « Si j’avais été meilleur », conclut-il, « mon patron n’aurait pas souhaité se séparer de moi… Note à moi-même : quand j’aurais retrouvé un travail, il faudrait que je pense à investir dans un retourneur de temps afin de disposer de suffisamment d’heures dans la journée pour satisfaire aux exigences de productivité de mon employeur. »
La Rédaction.
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