Encore une bavure pour l’adjudant Pittet qui les collectionne décidément comme les cartes Pokémon.
Pittet c’est un gars bonnard qui ne dit jamais non ni à un p’tit coup de blanc, ni lorsqu’il s’agit de taquiner à coups de sabots un prévenu tout juste arrêté qui attend d’être transféré au Palais de Justice.
Pittet est un bon Suisse, Pittet n’a pas connu d’autres endroits que la Suisse hormis peut-être les quelques lieux touristiques qu’il a visité lorsqu’il avait encore les moyens de se rendre en vacances ; et ceci bien avant que le gel de ses annuités ne le prive des sempiternels voyages en Thaïlande qu’il effectuait jadis afin d’y apporter la civilisation en l’objet de quelques stylos billes, quelques craies et même parfois, lorsqu’il parvenait à récolter suffisamment de fonds pour payer une valise supplémentaire soute, quelques habits récupérés chez ses voisins les Collard.
Oui, Pittet est empreint de quelques préjugés mais il demeure un honnête citoyen qui paie ses impôts, râle sur les frontaliers et profite parfois des vices du système qu’il aime tant critiquer pour tirer son épingle du jeu, en dérobant, par exemple, quelques surligneurs au bureau dès lors que la secrétaire à le dos tournée où qu’elle part fumer une petite clope.
Pittet possède aussi quelques côtés sombres. Par exemple, il compisse les personnes qui ne possèdent pas la même origine sociale que lui. Il déteste les mendiants. Il déteste les étudiants. Il déteste ceux qui risquent leur vie pour venir s’installer en Suisse, pays dans lequel il aimerait secrètement que l’établissement soit réservé à ceux qui y sont nés.
Ce matin, alors qu’il effectue une ronde dans la campagne vaudoise, Pittet et son collègue Collard qui, non content d’être son voisin, est aussi son équipier, croisent un troupeau de chèvres. Pittet s’exclame alors : « Dedieu Collard regarde-moi c’te chèvre, elle a pas les oreilles décollées dis voir ! ». Collard de répondre tranquillement : « Nom de Dieu Pittet t’as bien raison ! On va se la faire celle-ci ! Clé de bras, menottes et droit dans un charter ! ». Les deux agents ralentissent alors brusquement leur véhicule de fonction, manquant au passage de renverser la troupe de cyclistes qui se trouve là, par hasard, en cette belle matinée de novembre où le ciel, dispersant tranquillement les rayons du soleil, irradie le dos des passants et vient apporter à la douce chaleur de leurs habits d’hiver une sorte de supplément comme lorsqu’on rajoute un peu de sauce blanche dans un kebab chargé d’oignons. Bref, Pittet et Collard procèdent alors à l’interpellation de la chèvre suspecte. Sauf que celle-ci s’agite. Elle refuse d’être arrêtée par des employés de la fonction publique qui peinent à formuler en langage chèvre le motif de leur intervention.
Là, c’est le drame. Pittet place son genou sur le cou de la chèvre qui se débat en élançant ses sabots dans les airs. Elle crie. Elle supplie Pittet de stopper sa clé d’étranglement. Pittet ne comprend pas parce qu’il ne parle toujours par le chèvre.
Le soir venu, le coffre de la voiture de Pittet dégage une odeur nauséabonde, celle d’un cadavre somme toute. Lorsqu’il insère les clés dans la porte du domicile familial et que ses enfants accourent vers lui pour saluer le héros de la famille, lequel combat le crime et assure la sécurité du canton de Vaud, Pittet lance nonchalamment : « Les enfants ce soir c’est brochette kebab ! ». Et tout est au mieux dans la meilleure des Suisses possibles.
La Rédaction.
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