Chroniques

Chroniques d’un complotiste ordinaire – La chemise edelweiss

Lundi, j’acquiers au prix d’une lutte contre le champion suisse du sport éponyme une chemise edelweiss déchirée, ne tenant absolument pas chaud, mais néanmoins d’une esthétique inestimable à mon œil nouvellement borgne après que l’autre globe oculaire m’a été arraché à mains nues et dévoré par ledit lutteur. Je décide alors de l’arborer fièrement, dans les Rues Basses, pour montrer à tous les quidams, âme qui vivent aujourd’hui en peine dans la cité de Calvin, que l’on peut être semi-confiné et heureux. Mais c’est alors que je tombe sur un groupe de jeunes gens vraisemblablement d’ailleurs et qui d’ailleurs me font savoir que ma chemise, cette belle nippe si chèrement acquise et si fièrement portée, serait en réalité porteuse d’une symbolique qui n’aurait nul autre pareil si ce n’est le drapeau sudiste des anciens confédérés américains. « Menteurs ! », crié-je, ne souffrant point la critique ! Démarre alors une rixe entre ces sauvages et mon humble engeance… Quand l’un d’eux me décoche un gnon, je réponds par vengeance via un uppercut stratosphérique qui ne manque pas de le propulser jusqu’à la Lune en passant par Marseille et par le charmant village de Begnins où, Guy Parmelin, dit-on, dessalait régulièrement de la morue derrière les bottes de foin du champ du voisin. Mais je digresse ! La rixe se prolonge et interviennent alors les forces de l’ordre, lesquelles, lorsqu’elles me voient arborer ma magnifique chemise, s’en prennent inconsciemment et mécaniquement à mes assaillants vêtus de trainings Adidas et de maillots du PSG. Les symboles de la belle Helvétie sont d’une aide sans précédent dans la guerre de tous contre tous si chères à nos Pères fondateurs. 

Mardi, plus fort de mon expérience de la veille, je me dis que la chemise Edelweiss, si protectrice qu’elle soit, ne suffira pas à interdire le regard libidineux des enseignants du secondaires dans le décolleté plongeant de leurs élèves prépubères. C’est pourquoi je ne propose même pas au département de l’instruction publique de remplacer le t-shirt de la honte par ces chemises hilarantes. À la place je leur propose l’obligation de se vêtir du plus simple appareil pour décomplexer à la fois les enseignants et les élèves sur le sujet de l’hypersexualisation du corps. Ma proposition n’est, à ma grande surprise, pas retenue et je me fais gentiment reconduire à la sortie d’un établissement où j’étais venu faire ma publicité sous forme d’observation participante, c’est-à-dire tout nu. D’ailleurs, m’attendent à la sortie deux agents des forces de l’ordre qui me drapent, coïncidence, d’une chemise edelweiss. Et hop, direction le poste de police où je passerai la nuit et la journée suivante à dessiner des traits sur le mur pour conserver la notion du temps. 

Jeudi, légère ellipse dans ma vie puisqu’il n’est pas très intéressant de vous narrer les aventures que je vécus avec mes codétenus. Je ressors du commissariat avec une interdiction d’approcher les établissements scolaires. Je me demande bien pourquoi… Si tout un chacun arrêtait de considérer tout ou partie du corps comme sujet à interprétations sexuelles, tout irait peut-être un peu mieux dans le meilleur des mondes où nous vivons déjà. Je n’abandonne néanmoins pas l’idée de normaliser l’adoption de la chemise edelweiss et m’en remet à Dieu pour que celui-ci l’impose à tous.

C’est pourquoi vendredi, je me rends à l’église la plus proche pour y sermonner mes fidèles ! Une bande d’infidèles puisque personne n’a répondu à l’appel que j’avais lancé en morse sur les sirènes de sécurité de la ville ! Je récite néanmoins ma leçon de même que mon discours en face d’une nef plus vide qu’une cérémonie d’investiture de Donald Trump – ce qui n’était pas arrivé depuis la dernière cérémonie et n’arrivera vraisemblablement plus jamais. Tant pis ! De toute façon, j’enregistre mon prêche pour le diffuser sur les réseaux sociaux. Dans ce monde imaginaire, j’imagine un public beaucoup plus prompt à gober mes inepties sur les chemises edelweiss. En fait, j’imagine là-bas un public capable de gober à peu près n’importe quoi…

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